Redéfinir le métier d’enseignants !

Une adhérente nous livre ici son sentiment, largement partagé par la communauté enseignante, sur l'évolution du métier d'enseignant, et notamment suite à la réforme du lycée de M. Blanquer.

Monsieur Blanquer veut « redéfinir le métier d’enseignant ».  Quelle nouvelle ! Personnellement, depuis 30 ans que j’enseigne le français , mon métier a été « redéfini « , et alourdi,  à chaque réforme .

Lorsque j’ai commencé, en 1989 , en étant certifié, il était possible d’avoir trois classes seulement. A l’époque, un professeur qui avait une classe de 6°, de seconde ou une première L les avait 6 heures face à lui. Aujourd’hui, plus de filière L, et 4h seulement en classe de seconde.

Lorsque j’ai commencé j’avais des conseils de classe trimestriels, deux réunions parents-profs et toutes mes autres soirées pour ma vie de famille, les copines  …ou les copies. Aujourd’hui, à tout cela s’ajoutent des conseils de mi-trimestre, de multiples réunions dont les conseils pédagogiques : selon que votre proviseur a une vie de famille ou s’ennuie le soir, de 1 par mois à 1 par quinzaine, voire par semaine à certaines périodes !

Lorsque j’ai commencé, j’avais des classes ( en Lycée) qui comptaient  entre 27 et 30 élèves, aujourd’hui pas de classe à moins de 34 élèves

Bilan: débutante, en 1990, en devant 18 heures , j’avais trois classes. Aujourd’hui au fil des  réformes successives ( 5 ) et des réductions horaires qui les accompagnaient, pour 15 heures dues ( j’ai depuis obtenu l’agrégation) et 2 heures supplémentaires obligatoires, j’ai 5 classes.

Donc depuis 30 ans, mon métier a sans cesse été redéfini avec plus de classes, plus de copies, plus de réunions et la suppression de tous les dédoublements qui permettaient de travailler avec des effectifs plus réduits sur la méthodologie et d’aider les plus fragiles. Comme cela ne suffit pas , la réforme du lycée, en  français, impose un programme d’oeuvres fixe et renouvelable tous les ans par moitié ! Avant cette dernière réforme, tous les ans en juillet, je travaillais sur de nouveaux cours, l’amélioration de séquences… Grâce à la réforme Blanquer, l’été dernier, j’ai passé 7 semaines à préparer les nouveaux programmes, travail dont je vais devoir jeter la moitié à la poubelle en juin pour recommencer…sans que cela apporte quoi que ce soit de plus aux élèves ou aux professeurs, seuls les éditeurs peuvent se frotter les mains ! Quelle autre discipline se voit aussi lourdement chargée,   « redéfinie » ainsi tous les ans et « vendue » aux intérêts commerciaux du secteur privé  ?

Si le ministre redéfinit le métier en imposant plus d’heures, il va falloir modifier aussi les évaluations : il ne sera plus envisageable de consacrer 8 heures à la correction d’un paquet de commentaires ou de dissertations de 1°, mieux vaudra envisager des QCM ! Comme il n’y aura alors plus aucun intérêt à étudier des œuvres en profondeur, à passer du temps pour essayer d’apprendre à 35 élèves à raisonner ou à comprendre des textes,  il conviendra donc d’utiliser la semaine de formation pendant les congés pour que les enseignants passent le Bafa, qui leur sera alors bien plus utile que l’agrégation puisque le métier, bien redéfini, consistera alors à occuper 35 adolescents avec des activités et non à former des jeunes adultes sachant penser et raisonner, compétence bien trop dangereuse ! Qui sait , Ils pourraient peut-être décrypter la novlangue du ministère   :

Contrôle continu = partiels

Simplification des épreuves = usine à gaz des E3C

un bac plus musclé = moins d’heures, et moins de professeurs.

plus de choix = selon votre lycée, impossibilité de faire le parcours qui vous intéresse

Fin du bachotage et du stress lors de l’examen final  = stress et bachotage pendant 2 ans

 

Les professeurs, en particulier de français, sont en train de tomber par terre, c’est la faute à Blanquer !  Encore un petit effort, il seront le nez dans le ruisseau, pauvre Rousseau !

 

Claire Grafion