Philippe Corriette, ancien Principal du collège de Rougemont le Château (90), témoigne de la mise en place de la réforme du collège dans son collège. Une réforme souvent décriée mais une réforme qui offre des opportunités pour travailler autrement et favoriser la réussite de tous les élèves.

 

Cette réforme est partie du constat que 20 %  des élèves français âgés de quinze ans ne maîtrisent pas certaines compétences de base et il se trouve que l’immense majorité de ceux-ci appartiennent aux familles françaises les plus pauvres, aux quartiers ou zones rurales les plus défavorisés.

Porter remède à cette situation est donc le seul objectif qui vaille vraiment qu’on se rassemble en dehors de querelles syndicales ou partisanes. Les dernières données de l’OCDE montrent que notre système est devenu le plus inéquitable socialement de tous les pays évalués.

En tant que syndicaliste, citoyen, je comprends donc difficilement les premières mesures à cette rentrée visant à remettre en cause une réforme sans laisser le temps de l’action aux établissements. C’est même contraire aux déclarations visant à s’appuyer sur l’analyse pragmatique  des dispositifs.

Transformer le collège pour faire réussir tous les élèves

Même si on a pu regretter parfois la mise en place, les tâtonnements,… il s’agit bien pour moi de saisir une occasion de transformer les établissements et l’enseignement de façon à l’adapter à chaque élève. Cela suppose une transformation importante de nos pratiques, de notre culture professionnelle. Je lisais dans une enquête auprès des enseignants, à propos de leurs représentations de la grande difficulté scolaire, que le tiers d’entre eux se sentent impuissants face aux difficultés de leurs élèves et ont une attitude fataliste : «on ne peut rien faire, soit en raison de l’environnement social, soit parce que le niveau précédent n’a pas fait ce qu’il fallait». Cette culture est aussi partagée par des familles, notamment dans les milieux les plus aisés.

Les résultats de PISA montrent que les pays qui réalisent d’excellents scores ont diminué la proportion d’élèves en grande difficulté sans pour autant diminuer la proportion d’excellents élèves.

Il y a donc un défi à relever, pas par la culpabilisation des enseignants qui sont parfois en réelle souffrance face à la complexité de la prise en charge des élèves les plus fragiles, mais par une réflexion collective dans les équipes éducatives, par une réelle formation pédagogique initiale et continue, par un travail plus étroit avec les familles. On ne peut plus imaginer le métier d’enseignant comme une profession qui se vit une fois la porte de la classe fermée. On ne peut pas imaginer que la difficulté scolaire se traite hors la classe, c’est bien dans celle-ci que l’essentiel de l’aide doit être apportée.

 

Une réforme qui donne une marge d’autonomie pour mieux répondre aux besoins

La chance de cette réforme est de donner aux établissements une marge (20%) d’autonomie pour construire des projets d’accompagnement personnalisé qui peuvent passer par du co-enseignement. C’est une chance de pouvoir regarder l’activité cognitive des élèves pendant qu’un collègue travaille avec la classe, ou d’être auprès d’un des élèves « pour voir comment il s’y prend » et cibler davantage ses besoins.

Cette autonomie permet également de croiser les disciplines par les EPI, donner du sens aux apprentissages, travailler avec les élèves sur des tâches complexes. Les thèmes avaient le mérite de n’écarter aucune discipline et permettaient une programmation dans les cycles. Je regrette personnellement leur disparition. D’autant que chaque équipe avait le loisir de s’en saisir comme elle voulait.

La mise en place de la réforme au collège de Rougemont le Château (90)

S’appuyer sur les pratiques existantes dans le collège, sur la professionnalité des enseignants, de la communauté éducative en entier, a été mon approche comme chef d’établissement. S’engager dans la réforme parce qu’elle s’impose à nous, mais surtout à partir des expériences déjà menées.

En conseil pédagogique nous avons donc choisi la répartition des EPI sur le cycle 4 et chaque équipe a proposé ses EPI. Certains se sont appuyés sur des projets existants en associant d’autres disciplines (mini entreprises en 4ème , concours divers, PEAC, …), d’autres ont vu le jour grâce à la réforme et permis de créer des projets interdisciplinaires originaux: EMC- LV (non au harcèlement), physique-éducation musicale-arts plastiques (peace and lobe), EPS – mathématiques – SVT (rameurs), Histoire-géo-français-arts (mémoires de guerre), techno-LV (fiches métiers)…

Nous avons choisi de ne pas construire une « usine à gaz » en se focalisant sur l’organisationnel ou l’emploi du temps. Chaque EPI a géré sa temporalité, les moments de travail en classe, les temps de regroupement (une heure banalisée permettant les projets collectifs). Notre « quinzaine de l’altérité » a été l’occasion de donner du temps pour les projets plus lourds (mini entreprise,…).

Un objectif : favoriser les apprentissages des élèves

S’il est vrai que travailler en projet nécessite de la concertation, du temps, de l’énergie, les retours des élèves sont encourageants. Ces EPI permettent de donner du sens, de comprendre comment des disciplines différentes participent à la construction d’une même compétence, que les savoirs disciplinaires sont connectés entre eux. Comprendre qu’en améliorant mon alimentation (SVT), qu’en me positionnant de telle ou telle façon sur mon siège (physique), qu’en calculant le nombre de coup de rames le plus efficient (math), j’améliore ma performance en rameur en salle (EPS) et qu’au final je teste le tout au lac de Malsaucy sur des avirons avec l’équipe de France, a toute les chances de permettre à l’élève une mémorisation plus efficace.

Je terminerai en mettant en valeur l’intérêt du travail en équipe valorisé par cette réforme. Malgré la lourdeur de la mise en place (avec les nouveaux programmes en même temps, le travail des enseignants a été colossal), nous n’avions pas depuis quelques années autant parlé d’aide aux élèves, de pédagogie de projet, de l’intérêt d’avoir sa porte ouverte aux autres collègues (le dispositif « viens voir ma classe » est à investir).

L’objectif de la réussite de tous passe nécessairement par un engagement partagé. Le temps pris pour la concertation devient obligatoire. Il restera à le valoriser davantage. Je remercie encore l’équipe de Rougemont le Château pour son engagement et sa créativité !

Philippe Corriette, principal du collège de Sochaux