La crise sanitaire que nous vivons est inédite et brutale. Elle plonge notre pays dans une situation qu’aucun.e d’entre nous n’a jamais connu, à moins d’être né.e il y a plus de 100 ans.
Depuis jeudi 12 mars au soir et l’annonce de la fermeture des établissements scolaires et du supérieur, la « continuité pédagogique » est sur toutes les lèvres dans l’Education Nationale. Au risque parfois d’en oublier l’essentiel. Après une semaine, que peut-on dire de l’Ecole au temps du Corona ?
Dès vendredi la « continuité pédagogique » est apparue comme la 1e priorité d’un ministère qui s’est dit « prêt » face à la crise. Comment aurait-il pu l’être alors qu’on mesurait alors encore si mal ce qui nous attendait ? Et alors qu’il se trompait déjà de priorité : l’urgence absolue, pour le ministère de l’Education Nationale, comme pour l’ensemble de la société, c’est bien le ralentissement de la propagation du virus. Tout le reste passe après. Après beaucoup d’atermoiements et de consignes contradictoires à tous les niveaux de la hiérarchie, c’est ce que les instructions de dimanche après-midi sont venues rappeler.
Mais ce faux départ signale d’ores et déjà les soucis que l’on verra poindre quelques jours plus tard : comment, face à la plus grave crise mondiale depuis la 2e Guerre Mondiale, peut-on penser que la priorité est de rappeler que ce ne sont pas des vacances ?
Des vacances ? Les personnels n’y ont jamais songé. Les élèves peut-être un peu, et il faudrait ne jamais avoir été élève pour le leur reprocher. Depuis le début de la semaine, les un.e.s comme les autres font preuve d’une implication exceptionnelle. Les personnels se démènent pour maintenir le lien avec leurs élèves et pour accueillir les enfants de soignants. Les élèves font preuve d’une implication souvent louée par leurs enseignant.e.s à distance. Les services administratifs se démènent pour que la machine tourne malgré tout. En 1ère ligne, les personnels de direction et directeur.rice.s d’école font preuve d’un dévouement quasiment à toute épreuve.
Pourtant, après quelques jours, on peut, en suivant les retours que l’on a ici ou là, se rendre compte que chacun fatigue. Enormément. Les personnels sont souvent épuisés après des journées à batailler au milieu des innombrables outils disponibles, plus ou moins conformes au RGPD, et des difficultés techniques qui les accompagnent. Les élèves ne savent plus forcément où donner de la tête et peinent à s’organiser dans un contexte loin d’être toujours idéal pour le travail. Le cours est-il sur Pronote, dans l’ENT, sur whatsapp, dans la boîte mail ou sur Discord ? Et les parents, déjà mis à rude épreuve par cette crise, sont parfois ahuris devant la quantité de travail fournie.
La période qui s’installe n’est pas un sprint. C’est un marathon. Et à vouloir partir trop vite, chacun.e s’est sans doute vite épuisé, alors même que l’on mesure bien mal ce qui nous arrive et va nous arriver. Si les pressions venues de la hiérarchie peuvent parfois en partie l’expliquer, l’essentiel tient davantage à l’inconscient de notre système scolaire. Une volonté de trop bien faire. Une peur panique de la paresse. Et la certitude que l’avenir de la société dépend de l’Ecole, que celle-ci peut tout et doit tout. Le système scolaire français est cet élève trop stressé, persuadé de jouer sa vie à chaque contrôle, qui travaille d’arrache-pied mais reproduit sans cesse les mêmes erreurs, faute de prendre le pas de recul qui lui permettrait de correctement s’évaluer.
Ainsi il faut sans doute que nous regardions toutes et tous la situation telle qu’elle se présente réellement. On verra alors que les enseignant.e.s sont aussi bien souvent des parents. Qu’il y a souvent plusieurs enfants dans un même foyer. Que les parents ne sont pas des enseignant.e.s. Qu’une fois à la maison les élèves sont soumis à des contraintes que nous ne maitrisons pas et qui font que leur temps n’appartient plus seulement à l’Ecole comme dans les murs des établissements. Que le pays vit une crise majeure qui nous bouleverse toutes et tous et empêche beaucoup de consacrer leur énergie au travail comme si de rien n’était. Que le nombre de malades ne va faire dans un 1er temps qu’augmenter et qu’élèves, parents, personnels vont aussi être touché.e.s.
A quoi cela servirait de prouver que l’on peut faire l’école hors de l’école ? Que l’on peut fonctionner normalement même au milieu des pires crises ? La question à se poser est plutôt celle-ci : quelle peut être la meilleure continuité pédagogique ?
Elle reste sans nul doute à inventer. Mais clairement elle ne réside pas dans la multiplication des outils, des devoirs, des plannings et des injonctions. Le meilleur moyen de faire en sorte que cette « continuité » ne creuse pas trop les écarts entre milieux sociaux, c’est sans doute déjà d’en demander un peu moins. Il faut ralentir, se poser, réfléchir et bien mesurer ce que représentent 3, 4 ou 5 semaines de cours perdues à l’échelle de la crise exceptionnelle que nous vivons. Sans doute pas grand-chose.
Et puis se demander de quoi les élèves et les personnels ont besoin ? De repères, d’un lien, de travail aussi sans doute. Mais peut-être est-il temps de les laisser davantage libres de travailler comme et quand elles et ils le souhaitent. De répondre à la demande plutôt que d’exercer une contrainte. Et de se rappeler cette évidence : assurer la meilleure continuité possible, cela ne remplacera jamais l’école.